La tendresse de ma mère

Humeur : en attente
Musique de fond : Kyo - Dernière danse
Livre en cours : Enfance de Nathalie Sarraute
Site du jour : Amazon.fr

Ma mère... Quels mots pourraient la décrire ? Devrais-je d'abord parler de sa force de caractère apparente, ou de sa fragilité presque enfantine qui nous donnerait envie de la prendre dans nos bras ? Elle fut la première image que j'eus du Monde, et ce fut cette image qui me donna envie de rester. Pour elle, les Merveilles du Monde se résument à deux choses : ses enfants. Dès lors, tout le reste ne comptait plus. Ma mère naquit en Algérie d'un père policier et d'une mère au foyer. C'était alors ce qui pouvait être une famille moderne. Sa mère dirigeait le foyer d'une main de maître, et entre les séances de cinéma auxquelles ils se rendaient en famille, ils partaient également en voyage. Mais cela ne se fit qu'après l'indépendance de l'Algérie, lorsque mes grands-parents dûrent revenir en France de toute urgence car les maisons explosaient une à une. L'exil signifie une grande douleur dans le coeur de ma grand-mère, et elle n'en parle aujourd'hui encore que très peu. Les seules informations que je peux obtenir d'elle sur cette période se font lorsque mes grands-parents retrouvent des amis d'enfance, d'autres personnes au passé en lambeaux, déchirées par les tourments d'un départ. 
Avec quelques valises comme seuls bagages, restes d'une vie "d'avant", ma mère et sa famille se retrouvèrent alors à Paris lorsqu'elle avait six ans, et que sa soeur venait de naître. Ils eurent cependant de la chance, pourrait-on dire. Mon grand-père, en tant que fonctionnaire de police, avait pu retrouver un nouveau poste rapidement, qui lui permettait de faire vivre sa petite famille.
La jeunesse de ma mère lui apparaît désormais en demi-teinte. Il y avait cette difficulté de chaque instant, évidemment. Et cela pesait sur la vie familiale. Après quelques années à Paris, ils déménagèrent dans le Sud, où ils retrouvèrent de la famille proche. Et ils recommencèrent leur vie, lentement, douloureusement. Ma mère était un garçon manqué. Plus que ses poupées, elle préférait les jeux typiquement masculins. Mais cela changera rapidement lors de sa puberté, et elle se mit à fréquenter le sexe opposé.
Alors, au collège, tandis que les établissements scolaires tendaient à devenir mixtes et qu'un grillage dans la cour de récréation séparait les filles des garçons, on voyait lors des sonneries, de nombreux morceaux de papier voler à l'attention d'une quelconque âme célibataire. Mais les parents de ma mère veillaient. Et alors que ses amies partaient à la plage profiter de l'air méridional, ma mère restait chez elle, privée de sorties. Ou pire, à l'aide de sa fidèle mobylette, elle parcourait quelques kilomètres afin de rejoindre son travail, duquel elle tirait un salaire qui ne lui revenait même pas. Ses parents s'en chargeaient. On dit que c'était l'éducation de l'époque.
À dix-huit ans, lorsque ma mère put enfin sortir, elle se précipita au cinéma pour voir "L'exorciste", film interdit aux mineurs d'alors. Cette séance constituerait un cap, une frontière entre deux mondes. Mais rien ne changeait, et lorsqu'elle sortait, rarement, le soir, ses parents la suivaient pour la surveiller tels des chaperons modernes. Elle fréquentait un homme, et c'était le drame. Ils la voyaient caissière, ou femme de ménage. Voyant le peu d'intérêt que portaient ses parents à sa carrière, elle fit des études qui ne la menèrent pas où elle aurait désiré. Et après deux années d'études de droit, elle dût rapidement trouver un métier, désormais mariée, et bientôt enceinte. De mon demi-frère. Son mari allait la quitter quelques années plus tard, mais cela, c'est une autre histoire...
Lorsque je regarde désormais ma mère, je la revois lors de sa jeunesse. Dis-moi qui tu es, je te dirai qui tu as été. Ses parents ne furent pas des modèles, selon elle. Et elle garde encore, parfois, l'amertume d'années perdues. Mais comme tout le monde, ses parents s'étaient débattus pour survivre. Comme tout le monde... Alors, pour le peu d'attention et de confiance qu'on lui porta à l'époque, elle se venge à sa manière : elle nous élève en nous disant que nous sommes beaux et intelligents, et que nous réussirons là où elle a parfois échoué. Pour que demain ne soit pas un autre hier. Pour un monde meilleur. Pour toi, Maman. Je t'aime.

Commentaires:

et bien voilà... Ecrit par laurent51 le Mercredi 16 Juillet 2003, 07:30 En lisant cela, je me retrouve avec la gorge serrée...C'est beau. Merci Repondre a ce commentaire

C'est beau... Ecrit par Lindsay le Vendredi 14 Novembre 2003, 12:31 N'importe quelle mère rêverait à un tel témoignage d'amour et de tendresse... Ma propre mère en rêve aussi, j'en suis sûre... Malheureusement, même si je l'aime aussi tendrement que tu aimes la tienne, je ne pense pas que je parviendrais un jour à trouver les mots justes pour le lui dire. Je n'ai jamais été douée pour les grandes déclarations... Toi, tu as su trouver les mots qui montrent parfaitement ton amour pour ta mère Elle a beaucoup de chance... Je t'envie de parvenir si facilement à décrire ce que tu ressens A bientot Repondre a ce commentaire